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Comment rendre un salaud attachant? La méthode du soufflé au fromage 2/3

Comment rendre un personnage attachant même s’il est, au choix, con/ mal embouché/ désagréable/ borné/inconscient. Voire tout à la fois?

Un pitbull couverts de bisous faits au rouge à lèvres. Rendre un personnage attachant? Ça marche aussi sur les pitbull
RescueWarrior / Pixabay

Dans le précédent article, on avait discuté des techniques bateau, largement utilisées pour rendre un personnage attachant (ou plutôt sympathique):

Ce sont des “lovely item” qui ne marchent que sur des personnages sympa et qui rendraient ridicule un bon vieux salaud. En effet, parfois, le personnage n’est pas sympa. Parfois, il peut même être un monstre… Comment faire pour que le lecteur le suive quoi qu’il arrive? C’est le débat d’écriture lancé par Brice Massé, mon copain scénariste. Ce qu’on a trouvé me rappelle un peu un soufflé au fromage, avec ce cœur fondant qui transparaît dans les failles de la croûte du soufflé…

Attention, cette partie risque de vous agacer 😉

Le Principe Alchimique pour rendre un personnage attachant (même un salaud)

© Yvan Postel
© Yvan Postel

Tous les outils vu dans le précédent article, ces lovely items, ne fonctionnent pas sur tous les personnages. Même si Harry Potter a prouvé leur efficacité, avec un tueur à gages, on est un peu gêné…

Il existe d’autres astuces qui ne jouent pas avec ce que le lecteur aime consciemment mais travaillent plus profond pour rendre un personnage attachant. Elles actionnent un des trois piliers de l’accroche empathique:

  1. La quête du héros (consciente et inconsciente)
  2. Son conflit intérieur
  3. L’explication de son caractère

Pour s’attacher à un quelconque personnage, on a besoin de savoir pourquoi il agit comme il agit. C’est un peu notre côté psychologue.  Votre lecteur aura envie de percer la croûte toute dure de votre soufflé au fromage. En effet, il sait que sous la croûte parfois cramée se cache le cœur appétissant et fondant. Sachant que les lecteurs se nourrissent parfois de choses peu ragoutantes… ^-^

La Recette Alchimique pour rendre un personnage attachant (même un salaud)

© Yvan Postel
© Yvan Postel

Épisode 2: Les astuces  pour rendre un personnage attachant et qui marchent même sur un salaud

Astuce 5 : Le mec ultra compétent dans un domaine vs le looser

Brice me signalait que «le mec ultra compétent» est un classique des films US et que cela fonctionne dans 95% des cas: Dr House ou le supercop ripoux de The Shield en sont de bons exemples…
En effet, un héros reste quelqu’un à qui on a envie de s’identifier. Et notre égo préfère s’identifier aux winners qu’aux loosers. Cependant, un petit côté looser va le faire sembler plus vrai. On ne peut décemment pas être bon partout!

L’astuce en pratique pour rendre un personnage attachant:

Ainsi, pour rendre un personnage attachant (même un salaud) est de lui affubler des champs de compétence et d’incompétence avec:

  • une  super compétence dans un domaine pour créer un effet “waouh! il est trop classe j’aimerais lui ressembler”
  • ou une super incompétence pour créer un effet d’attachement comique ou de pitié: “ah! il est humain ce gars là et il me ressemble un peu même si je n’ose pas l’admettre”.

On peut même mêler les deux. House est super compétent en médecine mais nul dans les relations sociales. C’est ça qui rend supportable son côté asocial. Ça et son amour maladroit pour Cody (lovely item power!). De plus Brice me faisait remarquer qu’un type comme Columbo pourrait être trop «chevalier blanc» avec son côté irréprochable moralement et luttant pour la justice avec un QI de 200. Mais son petit côté looser: le type super modeste dans une bagnole pourrie, permet d’éviter qu’il soit «un peu trop lisse».

columbo avec son imper crado devant sa voiture déglinguée. exemple de comment rendre un personnage vraiment attachant. Il a 200 de QI, sert la justice mais il a un petit côté looser quand même

Bref, il faut apprendre à doser même si la super compétence entre dans le cadre des astuces hollywoodiennes les plus utiles. À noter, ces champs de compétences et d’incompétences auront un impact sur la quête du héros dans l’histoire. Ce seront autant de moteurs et de freins pour réussir à obtenir ce qu’il veut. C’est la théorie d’Yves Lavandier dans “La dramaturgie”.

Astuce 6 : La vraie raison cachée qui fait qu’il est méchant

Ce point là ressemble beaucoup à l’astuce 4, mais on va creuser beaucoup plus profond dans le personnage et le développer. L’idée est que le lecteur voit qu’il s’est construit de façon très cohérente. Ce qui compte au final, n’est pas seulement d’excuser (astuce 4) mais d’expliquer comment d’un événement A (problème dans le passé, circonstance de l’univers), on arrive à ce résultat (le connard). Comme le disait Brice:

  • «Je n’ai pas besoin de l’apprécier. Le comprendre me suffit
Ceci explique notamment le succès de sagas comme Game Of Thrones avec ces héros au sens moral douteux. De même, on a envie de mieux connaître les méchants dans une série comme Walking Dead. D’ailleurs vous en êtes où vous? Moi je sais pourquoi Negan est Negan. ^-^
negan

Le principe caché sous l’astuce

La question n’est pas seulement ce que fait le héros mais pourquoi il le fait. Et là, on touche en plein à une des raisons profondes pour laquelle nous lisons des histoires:

  • On a besoin de comprendre les méchants pour mieux les détecter dans la vie;
  • On a besoin de comprendre ce qui les a fait comme ils sont, quels sont les signes pour les reconnaître, etc
Pour avancer cela, je m’appuie un peu sur les travaux de Lisa Cron dans Story Genius (j’en reparlerai dans le prochain article) mais surtout sur une analyse de la dark romance. Mouvance que j’ai eu fort besoin de comprendre tant elle entrait en conflit avec mes convictions. En effet, ces histoires nous poussent parfois à nous attacher à de véritables démons face à qui Dexter est un enfant de cœur (code d’honneur power! cf. astuce 7). Côté féminisme, cela laisse à désirer. La technique basique est de nous montrer un fucking connard et de faire allusion au fait qu’il a été battu ou abusé quand il était môme. Caleb, l’archétype des héros de dark, n’a de cesse de nous laisser découvrir sous sa couche de psycho, son cœur fucké de gosse torturé.
Et… ça… marche.
Désolée.

L’astuce en pratique pour rendre un personnage attachant:

Pour expliquer le comportement actuel du salaud, on peut par exemple faire appel à un souvenir émotionnel. Ce que je nomme souvenir émotionnel est une réminiscence d’un souvenir chargé d’émotions parfois contradictoires. Celle-ci arrive souvent face à un choix difficile. Parce que c’est à ce moment qu’un être humain pèse le pour et le contre, qu’il rassemble tout ce en quoi il croit, tout ce qu’il veut être ou a peur d’être. C’est aussi à ce moment que la raison affronte les sentiments.
  1. On peut citer l’exemple d’un flic qui tient le grand méchant au bout de son arme. Il a la main sur la gâchette, il tremble, il sait qu’il foutrait sa carrière en l’air et là, il se souvient de sa femme agonisant dans son sang après qu’elle ait été – au choix – violée, torturée, battue à mort, voir le combo des trois. Le coup part.
  2. Imaginons aussi un gros flic ripou, face à son partenaire qui va le dénoncer. Toute sa raison lui hurle de le tuer, mais au delà des années passées ensemble, il se rappelle que cet homme vient d’avoir un fils. Il se rappelle surtout ce que c’est que de grandir sans père. Le vide au creux du cœur, les brimades quand personne ne vous protège, l’absence de repères qui fait qu’on tourne mal et qu’on ne sera jamais capable d’avoir une femme et un fils à soi… Le coup part. Sa décision est prise. Il s’occupera de ce gamin et ne le laissera jamais manquer de rien.
Vous l’avez vu venir celle-là? Fufufu 😀

Dans un cas comme ça, ce n’est pas juste un souvenir “excuse” qui doit être sollicité mais une chaîne de souvenirs, un enchaînement de causes – conséquences qui emprisonne le héros dans un schéma de pensée. Après, c’est le rôle de l’histoire que de le faire changer. Typiquement, l’exemple 1, va très bien à la fin d’un film d’action type “vengeance pleine de testostérone”. L’exemple 2, lui, a plus sa place comme incident déclencheur d’une histoire de type “rédemption”. Et ça se trouve, c’est même le début d’une histoire larmoyante entre le flic ripou pourri et ce petit orphelin. Mes respects éternels au manga “Vinland Saga”.

Astuce 7 : Le code d’honneur

L’astuce ultime qui réconcilie les techniques 4 et 6 est  «le code d’honneur», un code de conduite, une certaine forme de sens moral au milieu des requins.

un barbu tient les tables de la loi. Le code d'honneur est un moyen très puissant de rendre un personnage attachant, même si c'est un salaud fini
Prawny / Pixabay

Même la pire des raclures devient “attachant” avec un code d’honneur. De plus, c’est très intéressant pour l’accroche du lecteur, car à chaque décision importante, le héros sera obligé de se confronter à son code d’honneur, voire, de le faire évoluer pour sauver sa peau ou atteindre son objectif. Pour aller plus loin, on peut citer le Parrain. Dans son référentiel de valeurs, il ne fait que ce qui doit être fait pour le bien de la Famille. Le plus dur sera alors de faire comprendre au spectateur quel est ce référentiel et en quoi le héros lui est fidèle. C’est ce que Robert McKee, un théoricien du scénario appelle “le centre du bien”. On sort ici de la vision un peu culcul du scénario hollywoodien inspiré par Christopher Vogler, le théoricien à la base des Disney.

L’astuce en pratique pour rendre un personnage attachant:

  • Ainsi, même si votre personnage est un salaud, faites en sorte qu’il possède quelques règles de conduite.
  • L’autre astuce est aussi de montrer qu’autour de lui rôdent des gens encore pire et affublés de valeurs négatives (lâcheté, cupidité, vrai goût du sang, etc.). Il fera figure de sauveur.

Encore une fois, la série “The Shield” est un bon exemple. Comme disait Brice: «Le héros est le flic le plus pourri que j’ai jamais vu mais il est entouré de bandits , de carriéristes , de “faibles” etc.»

heinsenberg, le héros chauve à lunettes de breaking bad est assis dans sa combinaison jaune devant des seaux de meth, la drogue qu'il fabrique. Ex, de comment rendre un personnage attachant. Pour certaines raisons il va devenir mauvais, et il faudra qu'il aille très loin pour qu'on perde notre empathie pour lui

Breaking Bad est un exemple litigieux. Car ici, on part d’un «bon» héros. L’univers le contraint à faire le mal et il a un code d’honneur très strict. Mais au fil de l’histoire on verra son sens moral s’effriter. Compte-tenu de son histoire personnelle et du milieu dans lequel il évolue, il faudra qu’il aille très loin du côté obscur pour qu’on perde notre attachement pour lui.

Réflexions à mi-chemin: les histoires ont un pouvoir

image d'un mafieu installé à son bureau avec un chat sur les genoux. Les dangers de trop vouloir rendre un personnage attachant

Brice soulevait qu’il existe un “danger” avec certaines techniques narratives très puissantes. Un bon scénariste arrive à créer de l’empathie pour des types réellement immoraux. Par exemple, la série “Justicier de New York”, montre un mec limite facho qui pratique l’auto justice. «Cette série de films pue le racisme, la misogynie et l’homophobie à plein nez mais…ça fonctionne. (soupir)»

En effet. Il a souvent été reproché au Parrain, de donner une autre morale aux jeunes. Pourtant, ce que fait ce film c’est d’illustrer le référentiel d’un personnage. Si on a peur de susciter une accroche pour un mauvais référentiel, il est important d’avoir un pendant, un antagoniste aussi fort qui aura un référentiel moins asocial. Si on ne met qu’un seul point de vue «erroné» ou «tordu», le spectateur, surtout s’il est jeune et influençable, peut aller trop loin dans l’identification. Et sur ce débat, je vous cite directement Brice, qui s’y connait mieux que moi en cinéma: «Le but de Coppola était justement de montrer à quel point la vengeance pouvait transformer un homme en véritable démon. C’est aussi pour cela qu’il a accepté de faire les suites. Pour tenter de rectifier le message. Idem pour Scarface. Il s’agit de la chute aux enfers d’un homme rongé par l’ambition mais qui a été repris comme modèle négatif par toute une génération…»

On ne contrôle pas tout malheureusement… Cependant, impossible de le nier, les histoires ont un pouvoir. Rendre attachant un salaud pour réussir à garder le lecteur accroché à son bouquin, c’est bien, mais il faut avoir en tête le message que renvoie cette histoire.

 

 À vos plumes!

© Yvan Postel
© Yvan Postel

Encore une fois, ce sera pas un exercice fatiguant cette semaine. Reprenez-vous une histoire avec un héros tordu (Dr House, The Shield, ou n’importe quel film de testostérone américain) et tentez d’identifier comment le scénariste a réussi à vous le rendre attachant. Pas au sens: «oh qu’il est mignon, j’ai envie de lui faire un câlin» mais au sens «j’ai pas envie de le lâcher».

Voilà pour les astuces qui marchent sur les salauds. Dans le prochain article, on va s’attacher aux éléments qui plongent encore plus profond dans le héros et le cerveau du lecteur. On va donner du goût à notre soufflé au fromage!

Comment vraiment rendre un personnage attachant? Le pouvoir de V 3/3

Merci à Brice Massé pour cet échange! Si vous voulez découvrir son univers, c’est ici:

javeed titre d'une BD en écriture d'influence arabe. On voit un alchimiste qui s'escrime sur des manuscrits avec une femme cachée dans l'ombrehttps://massee-brice.jimdo.com/travaux-personnels

En attendant la suite, écrivez-moi ici si vous voulez des conseils plus personnalisés ou que je traite une question précise dans un article. Et pour en savoir plus sur la plume et le retravail d’une histoire, n’hésitez pas à télécharger mon livre: «Comment polir son roman pour en faire un diamant».

couverture comment polir son roman pour en faire un diamant

Bonne chance à vous dans vos projets! ^-^